Encore cette cage…
Je n’en peux plus de cette boîte en plastique grillagée. Et puis j’ai mal, si mal au ventre… Où m’emmènent-ils encore ? Je sens bien à leurs yeux, à leurs voix, à leurs caresses, qu’il se passe quelque chose d’étrange. De terrible peut-être.
Elle m’a joué du piano en pleurant tout à l’heure. J’étais enfin bien, sur le lit, allongé. J’ai pu fermer un peu les yeux et juste écouter. J’ai presque oublié ce bandage qui entoure mon ventre et ma patte… J’aime quand elle joue, je l’ai toujours aimée comme ça. Je sais qu’elle jouait pour moi. Seulement pour moi.
Lui, il nous a laissés seuls, mais il était juste à côté. Je ne pouvais pas le voir mais je le sais. Il écoutait lui aussi, dans le grand fauteuil rouge. Celui dans lequel j’aimais tant me prélasser au soleil. J’y laissais mes poils, ça ne lui plaisait pas trop mais il me laissait faire. Je l’aime bien lui. On se comprend, on est de la même espèce tous les deux : de celle qui aime jouer, faire la sieste et la cajoler, elle.
Il me paraît tellement loin, ce temps où je pouvais grimper où je voulais. À présent, je ne parviens même pas à marcher droit jusqu’à ma gamelle. Je tombe, je glisse, il est devenu si difficile de me relever… Ils m’ont installé des coussins partout par terre dans la maison. On dirait un terrain de judo avec des tatamis. Et puis cette bouillotte qu’ils me collent tout près de moi, tout le temps… J’ai chaud, j’ai froid…
Je ne suis plus vraiment là.
Tiens, pourquoi s’arrêtent-ils tout à coup ? J’entrevois le canal par la grille de ma cage. Il fait beau, le soleil me caresse les moustaches. Ils parlent tout bas et se prennent dans les bras. Ça fait du bien ce petit break… Ah, ils repartent. Ils marchent tout doucement, ma cage ballotte en silence. Une main se glisse entre le grillage, c’est elle, elle me caresse le bout de la patte. Elle est là, lui aussi. Ça sent bon par ici, ces arbres, cette verdure, cette fraîcheur. Où m’emmènent-ils comme ça ? D’habitude, quand je suis dans cette boîte, on prend la voiture, ils courent, se pressent, me parlent vite. Là c’est tout lent, calme et silencieux.
Je sens leur tristesse.
Je crois que je comprends.
Elle est froide cette table toute blanche. J’aurais bien besoin de ma bouillotte. Heureusement qu’elle m’entoure de ses bras. Quelqu’un parle et s’active à côté de nous mais elle me fixe dans les yeux et me caresse avec tant de tendresse. Il n’y a que nous. J’ai tout vécu près d’elle : la maison en Sologne, la forêt, les rires, la musique, la cheminée, la neige en hiver, la nature si sauvage, l’étang juste là… et puis la ville, les rires et le piano, des espaces de plus en plus petits, plus de verdure, que du gris, et des larmes beaucoup aussi… et soudain, un nouvel homme-félin dans notre vie ! Des montagnes comme des diamants à perte de vue, le bruit de l’eau sous nos fenêtres, le calme, la douceur et les jeux. Elle m’aura embarqué partout celle-ci. On en aura vu, du pays !
Elle me regarde, ses yeux sont flous, elle me sourit.
Au revoir ma belle amie.
On se retrouve dans une autre vie.

Cisco, mon amour de chat, est parti à l’âge de dix ans et a laissé un énorme vide dans notre vie. c’était un être doux, charismatique et profond. Quelqu’un m’a dit un jour qu’il n’était pas parti pour rien, et je commence à le croire. Grâce à lui et à son départ, j’ai pris la mesure des liens que me sont précieux et je recommence par ce billet à partager mon écriture. Il repose dans le jardin de mon enfance, chez mes parents.
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